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Le Banian n° 6, décembre 2008

Sexe, pouvoir et nation

Banian 06
Couverture : aquarelle par Chrisvivany Lasut.
Née près de Manado où elle enseigne à l’université
après un doctorat réalisé en France et au Japon,
elle pratique la peinture et la photographie et
s’adonne aussi au chant. Elle vient d’écrire 
Parlons Manadonais, Éd. L’Harmattan.

Sommaire

Johanna Lederer, Editorial 
Etienne Naveau, Islam et nation en Indonésie
Henk Schulte Nordholt, Essai sur la politique identitaire, citoyenneté et l’Etat “léger” en Indonésie 
William Gervase Clarence-Smith, Eunuques et concubines dans le Sud-est asiatique musulman
Saskia E. Wieringa, L’inégalité des sexes. Un aspect obstinément occulté dans les études sur l’Indonésie. Le professeur Wertheim et la question féminine
Maya sutedja-Liem, Njai Dasima
Hélène Poitevin-Blanchard, « Sastrawangi » ou les femmes dans la littérature indonésienne contemporaine
Lily Yulianti Farid, « Makkunrai » et autres considérations sur le concept de l’idéal féminin chez les Bugis
Kirstin Pauka, Les filles prennent le contrôle ? Les interprètes femmes dans le théâtre Randai
Martine Estrade, Pouvoir spirituel ?
Wilma Margono, Lettre à une amie non excisée
Jean Rocher, Double meurtre au sauna
Dede Oetomo, Quelquefois, ça se voit, quelquefois ça ne se voit pas : la culture homosexuelle en Indonésie
Catherine van Moppès, Olivia Raffles. Un destin
Monique Zaini-Lajoubert, Kartini vue par Pramoedya Ananta Toer
Jean Le Cercle, Lettre à Raden Adjeng Kartini
Ghislaine Guygot, Rubrique : l’indonésien,  langue exotique ?
Nigel Barley, L’île des démons
Paul Eluard, Jam Malam (Couvre-feu)
Afrizal Malna, Comment je suis devenu mère au foyer  
Sitor Situmorang, La ronde
Iwan Simatupang
Et photos de Pierre Damour, Karyne Lamouille, Dominique Maison, François Paufique

Editorial

Johanna Lederer

Années 70 en Europe, peut-être vous en souvenez-vous ? Il y avait des films « interdits aux moins de dix-huit ans » comme Les ValseusesEmmanuelle et autreDernier tango à Paris, films qu’on peut voir aujourd’hui dès 12 ans… Mme de Gaulle  pouvait faire interdire le strip-tease à la Foire du Trône ; la “première dame de France” le ferait-elle aujourd’hui, en s’accompagnant à la guitare ?

C’était l’époque exaltante du MLF où le soir, après les réunions houleuses bâtissant les projets les plus fous, les plus osés, comme la banalisation de “bordels où les femmes seraient clientes et les hommes chair à consommer”, nous les femmes, nous rentrions « coucher avec l’ennemi ». Ce qui fit scandale en son temps, ce qu’on applaudissait comme apte à briser les tabous, ce qu’on jugeait pornographique ou sulfureux, ce ne seraient, en fin de compte, que des soubresauts contextuels. Rien de fondamental n’aurait donc modifié la société : les pauvres resteront pauvres, les femmes continueront de se montrer dans bien des domaines “plus hommes” que leurs homologues mâles, tout en gagnant moins qu’eux dans le monde du travail. On pourra continuer à les voir comme des monstres assoiffés de sexe, ou comme des êtres dont il faut réduire la capacité de jouissance. Tout de même, en France, le mouvement du MLF a permis aux femmes de choisir d’être mère ou pas : la pilule pour toutes et l’avortement possible restent aujourd’hui encore des victoires réelles, dont la pérennité réclame notre vigilance.

Le sexe c’est aussi l’autre, le deuxième, ou, comme on dit depuis les années 60 chez les anglophones, le genre (gender), concept qui se réfère non pas à la sexualité mais à la culture, au contenu culturel et social –ce qui n’en fait pas pour autant un domaine plus aisé à traiter. Dirions-nous encore comme Freud que “l’homosexualité est un arrêt du développement sexuel” ? Est-ce un tabou aujourd’hui encore ? Le droit de chacun à vivre sa sexualité comme il l’entend est-il enfin établi ? En France ?... En Indonésie ? Et que cherche-t-on à ranger là-bas sous le terme de pornographie, en Indonésie, où depuis trois ans on entend parler d’un projet de loi, stupide mais dangereux, baptisé projet de loi “antipornografi” et “antipornoaksi” ?

Ibu (madame ou Mère) Tien, l’épouse de Suharto, président qui a régné d’une main de fer sur le pays pendant 30 ans, possédait-elle un pouvoir (d’après le dictionnaire Robert, capacité à accomplir une action sur les plans économique, social et politique) ? Elle pourrait bien (d’après Julia Suryakusuma) personnifier le modèle idéal de la Femme indonésienne dans les cercles politiques du pouvoir. Sa loyauté et son soutien envers son mari furent inconditionnels et illimités. Elle n’était “que” sa femme, sans rôle autre que celui de femme fidèle et dévouée mère de famille nombreuse. Pourtant, les intellectuels du régime ont forgé à son propos l’expression  d’ « Ibuisme d’état » (féroce mélange, qui perdure, de valeurs javanaises féodales, hollandaises petites bourgeoises, dans le moule militaro-hiérarchique.) Ce pouvoir est institutionnalisé dans le Dharma Wanita, l’association des femmes de fonctionnaires (adhésion obligatoire) qui, à travers le mouvement pour la protection de la famille, propage une idéologie part intégrante de l’appareil d’Etat. Idéologie totalement inadaptée à la vie des femmes pauvres, qui reste néanmoins un excellent moyen de contrôle de la population villageoise. Cette politique de chambre-à-coucher se répand dans la structure bureaucratique toute entière, et la prestation d’une épouse au sein de Dharma Wanitapeut sérieusement influencer la carrière de son mari.

Comment l’Indonésie contemporaine a-t-elle intégré toutes les évolutions du XXe siècle, depuis la société traditionnelle, à travers l’empreinte coloniale, la construction de la République, jusqu’à la mondialisation actuelle des plus tristes modèles ? Ce numéro du Banian voudrait vous proposer quelques vignettes qui tentent d’en donner une image.

Dernière minute : comme tous les amis de l’Indonésie le redoutaient, le 30 octobre 2008  le projet est devenu réalité. La loi liberticide “antipornografi” a été votée par le Parlement. Même purgée du terme de “pornoaksi”, cette loi soulève les plus grandes inquiétudes. Si elle est signée par le Président, rien n’empêchera plus les groupes extrémistes de prendre pour cible les minorités religieuses, sexuelles, politiques, culturelles, ni de s’attaquer à la presse, aux défenseurs des droits humains, aux artistes, etc. Les femmes seront, comme toujours, les plus exposées, dans un pays où l’on ose parler de “défendre les enfants” contre l’invasion de la pornographie, alors que rien n’empêche un vieux religieux – qui est en même temps un riche homme d’affaires – de s’acheter une femme de 12 ans.

Bonne lecture et bonne année 2009 ! 

Le Banian n° 6, décembre 2008, 206 pages, 8 € hors fais d'envoi. ISSN 9771779848001