Traduction et interprétation.
Vices et vertus de la loyauté et de l’infidélité…
Illustration de couverture :
© Sacha Jordis, avec son aimable autorisation.
Sommaire
Johanna Lederer, Editorial
Henri Chambert-Loir, Traduire l'Indonésie
Rahayu Surtiati Hidayat, Traduire : pourquoi et pour qui
Elizabeth D. Inandiak, Traduire c’est errer. Un exemple : le Livre de Centhini
Monique Zaini-Lajoubert, Les versions indonésiennes de La Dame aux camélias (1848)
Étienne Naveau, L’intraduisible nom de Dieu : L’interdiction des Bibles indonésiennes en Malaisie
Roger Tol, Traduire la poésie bugis
Georges Voisset, Que restera-t-il de nos amours ?
Gilles Massot, De la traduction photographique
Bertrand Malaud, Sri Woelan, une Européenne “serimpi” des années Trente
Mohammad Nanda Widyarta, Ce qui a pu former la perception spatiale vernaculaire indonésienne ; ou une esquisse première de la logique spatiale des nomades marins
Wening Udasmoro, L’interprétation par les acteurs sociaux des lois sur l’avortement en Indonésie
Santi Dharmaputra, Parler la langue indonésienne alors qu’il y en a tant d’autres
Rubrique : L’indonésien, langue exotique ?
Jacqueline Camus,
Rubrique : Compte rendu de lecture.
Georges Voisset, L'ère de Caïn de Yann Quero
Georges Voisset, Henri Chambert-Loir, Bibliographie(s)
Rubrique : Pages retrouvées.
Nadine Albert-Ronsin, Yvan Goll, le poète oublié
Georges Voisset, A propos de Manyana, quelques réflexions sur la traduction
Yvan Goll, Chansons de Manyana, jeune fille malaise
Nicole Revel, Chants d'amour Palawan
Rubrique : Les bonnes feuilles du Banian.
Umar Kayam, Les Priyayi
Photographies & illustrations :
Sacha Jordis, Elène Usdin, Ken Cheong, Kurniadi Widodo, Ana Fer, Jérome Siran
Editorial
Johanna Lederer
Le plus vieux métier du monde…
Yvan Goll, poète alsacien né en 1891, disait qu’avoir deux langues, c’est avoir deux vies. Beaucoup des lecteurs du Banian se retrouveraient certainement dans ce constat : la plupart de ses lecteurs indonésiens, en tout cas.
Mais, même dans un pays aussi « monolingue » que la France, combien sont ceux qui, nés en Alsace ou au Pays basque, de parents italiens ou algériens, ou venus « d’ailleurs », n’ont pas cette autre langue-ci, cette autre langue-là, dans leur besace à mots ?
Un monde incertain où comptent l’habileté des relations diplomatiques, l’utilité du commerce international, le grand choix des loisirs, voyages, films, littérature, informatique, a, avant tous les autres métiers, besoin de traducteurs, une catégorie bien souvent ignorée, voire peu estimée. Mais avant tout : que traduit-on, ou ne traduit-on pas, oublions-nous, évitons-nous peut-être, de traduire ? L’indonésien, par exemple ?
Traduire, transposer (ce que l’on voit en ce qu’on dit, ce que l’on entend en ce qu’on dessine...), interpréter « son » réel pour en rendre compte à l’autre, de tout temps ces activités ont été nécessaires, en tout cas depuis que les hommes ont abandonné la construction de la Tour de Babel.
Mais au fait, traduire, qu’est ce que c’est, au juste ? S’agit-il de transposer des idées et de l’information d’une langue vers une autre, faire passer du sens ? Est-ce une science, un métier, ou de l’art ? Comment expliquer que la littérature indonésienne soit si peu traduite ?
Il suffit de regarder les listes des œuvres traduites (page 196) pour constater avec regret qu’elles sont plutôt courtes. Le Banian aimerait combler un peu ce manque en proposant dans ce numéro une sélection de livres inspirés par l’Indonésie et, à partir d’aujourd’hui, un compte-rendu de lecture (page 193).
Montrant en même temps par là qu’il ne serait peut-être pas superflu de créer une « Collection du Banian », dont le premier objectif serait pour commencer la traduction et la publication en français d’un ou deux titres par an.
Les très bons traducteurs ne manquent pas en France… Voir les quelques livres d’auteurs indonésiens disponibles dans l’hexagone, notamment de Pramoedya Ananta Toer et Ayu Utami, les divers recueils de pantouns et de nouvelles, ou même ici, les articles parus dans Le Banian. Nous avons tous pu apprécier le haut niveau de formation, le grand talent de « nos » traducteurs.
Si ce numéro s’interroge sur le manque de traductions d’oeuvres indonésiennes en français, il saisit également cette occasion pour rendre hommage à leur travail exercé avec sérieux, talent et très souvent aussi avec abnégation. Citons à cet égard Valéry Larbaud :
« Le traducteur est méconnu ; il est assis à la dernière place ; il ne vit pour ainsi dire que d’aumônes ; il accepte de remplir les plus infimes fonctions, les rôles les plus effacés (...) L’ignorer, lui refuser toute considération, ne le nommer, la plupart du temps, que pour l’accuser, bien souvent sans preuves, d’avoir trahi celui qu’il a voulu interpréter, le dédaigner même lorsque son ouvrage nous satisfait, c’est mépriser les qualités les plus précieuses et les vertus les plus rares : l’abnégation, la patience, la charité même, et l’honnêteté scrupuleuse, l’intelligence, la finesse, des connaissances étendues, une mémoire riche et prompte, - vertus et qualités dont quelques unes peuvent manquer chez les meilleurs esprits, mais qui ne se trouvent jamais réunies
dans la médiocrité »
(Sous l’ invocation de Saint Jérôme).
Je termine en annonçant la création des rubriques : Compte rendu de lecture qui propose une critique sur des ouvrages liés à l’Indonésie (ici L’ère de Caïn de Yann Quero) et Pages retrouvées… inaugurée dans ce numéro 8 par Yvan Goll. Cette rubrique souhaitant présenter des oeuvres en liaison avec l’Archipel, anciennes, introuvables, ou rares, nous avons choisi douze poèmes extraits de Chansons de Manyana, Jeune fille malaise, d’Yvan Goll. Ces poèmes - dont cinq traduits en indonésien avec un naturel élégant (comme s’ils avaient été composés dans cette langue !) par Chrisvivany Lasut, grâce à qui… Manyana retrouvera aussi la sienne ! - ont été mis gracieusement à notre disposition par la Société des amis de la fondation Yvan et Claire Goll.
Yvan Goll, poète franco-allemand, compagnon des surréalistes, fait partie de ceux qui avaient besoin d’écrire dans plusieurs langues. À l’instar de Goethe qui aimait faire des expériences avec la poésie anglaise, ou Eliot qui avec talent faisait des gammes en français, tout comme Rilke en italien et en russe. Ainsi, de nombreux poètes sont des traducteurs qui, à travers ce travail si particulier - une montée lente, parfois pénible du grimpeur avec l’immense joie de caresser du regard le chemin parcouru du haut de sa montagne - recherchent une distance, une distraction, une discipline, une nouvelle expérimentation, ou tout simplement, du repos. Comme si le fait d’écrire dans une autre langue que la sienne procurait un amusement tel que la difficulté parfois d’écrire s’en trouve récompensée.
La rubrique Les bonnes feuilles du Banian termine la revue avec un extrait d’une oeuvre indonésienne inédite, ici un passage de Les Priyayi de Umar Kayam, traduit par Jean-Marc de Grave.
Enfin, à chacune et à chacun, à tous ceux qui font que Le Banian existe, à tous ceux qui le lisent, à tous ceux qui traduisent opérant ainsi le miracle de rapprocher nos deux pays, je formule des voeux très chaleureux de santé, de bonheur et de réussite.
À Pak Joesoef Isak, éditeur et Pak WS Rendra poète et écrivain, deux grandes figures du monde littéraire qui nous ont quittés cet été, j’offre ce numéro, puissent-ils voyager en paix tout en restant dans nos mémoires.
Bonne et heureuse année 2010 !
Le Banian n° 8, décembre 2009, 236 pages, 8 € hors fais d'envoi. ISSN 9771779848001